Sauvé après avoir passé une nuit dans l'eau, Pierre témoigne
publié le10 December 2025
écrit parJean-baptiste Lindner
mis à jour le11 December 2025

Pierre (au centre avec une casquette) et sa femme Martine sont venus remercier les bénévoles quelques jours plus tard © DR
Après s’être perdu sur l’estran, un pêcheur à pied a passé toute une nuit accroché à un bouchot. Malgré l’eau froide qui l’a peu à peu recouvert, Pierre a tenu jusqu’à l’arrivée des Sauveteurs en Mer. Il témoigne.
L’espoir fait vivre. Ce proverbe s’applique au sens littéral à Pierre, 69 ans. Car cet habitant des environs de La Rochelle (Charente-Maritime) ne doit sa survie qu’à un mental d’acier. Accroché à un poteau et plongé dans l’eau froide pendant six heures, il n’a jamais abandonné. Jusqu’à ce que les Sauveteurs en Mer viennent le secourir.
Dans la nuit du 23 au 24 septembre, Pierre profite de la marée basse pour relever un filet de pêche qu’il a déposé quelques heures auparavant, près de la baie de l’Aiguillon, à la limite de la Charente-Maritime et de la Vendée. « La nuit était très noire, il n’y avait pas de lune, se souvient-il. Mais je connais bien l’endroit, j’ai trouvé mon filet sans problème. Il y avait une sole et un mulet, j’étais content. »
Minuit vient de sonner quand le marin en retraite se met en route pour regagner sa voiture. « Là, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais je ne suis pas allé vers la côte », s’étonne-t-il encore. Pierre marche prudemment sur l’estran, qui recèle de pièges. Rochers, algues et bouchots – pieux de bois destinés à l’élevage de coquillages – se dessinent faiblement dans la nuit. Après avoir parcouru une bonne distance, l’homme se rend à l’évidence : il est perdu. « Je regarde ma montre : 00 h 58, se remémore-t-il avec précision. Je savais que l’eau allait bientôt monter et que je ne pourrais pas rejoindre la côte avant. Il fallait que je fasse quelque chose. »
D’autant que Pierre ne sait pas nager. Cela n’a jamais dérangé cet ancien mécanicien sur des bateaux de pêche et des navires marchands. Tombé à l’eau plusieurs fois au cours de sa carrière, il est toujours parvenu à remonter à bord. Sa longue expérience des situations difficiles lui fait prendre une sage décision : « J’ai cherché le bouchot le plus haut possible, j’ai passé un bout autour et je m’y suis accroché pour monter au fur et à mesure, un peu comme à un cocotier. Je n’étais pas inquiet », assure le marin à la peau dure.
« La certitude qu’on me rendrait un corps »
Peu après 2 heures, Martine, la femme de Pierre, ouvre les yeux. Son mari n’est pas à ses côtés dans leur lit. Pourtant, cela fait longtemps qu’il devrait être rentré. « Je suis montée dans ma voiture et suis allée là où il a l’habitude de se garer pour pêcher, raconte-t-elle. J’ai trouvé son véhicule, mais pas mon Pierrot. J’ai appelé les secours, avec, au fond de moi, la certitude qu’on me rendrait un corps. Une femme de marin ne se fait pas d’illusions. »
Les opérateurs du centre régional opé rationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Étel savent que chaque minute compte dans ces situations. Ils alertent les Sauveteurs en Mer de la station de l’Île de Ré. Cinq bénévoles s’extirpent de leur lit en pleine nuit pour rejoindre la SNS 458. Onze minutes plus tard, la vedette prend le large. Un hélicoptère Dauphin de la Marine nationale est également mobilisé pour les recherches en mer. Pompiers et gendarmes se chargent de sillonner la côte pour tenter de retrouver Pierre.
Quelque vingt minutes après, la SNS 458 arrive dans la zone où devrait se situer le retraité. Lors des recherches d’homme à la mer, les sauveteurs disposent de modèles qui leur permettent d’anticiper la dérive de la victime en fonction des courants et du vent. Ils effectuent un premier trait de côte en se basant sur ces estimations. Trois projecteurs fendent la nuit noire. Les bénévoles utilisent également des lunettes thermiques pour repérer le pêcheur.
« Nous piquons un moment sur la côte, où nous voyons des petites bouées qui pour raient signaler du matériel de pêche, comme un filet dans lequel notre homme pourrait être coincé, relate Denis Chatin, président de la station de l’Île de Ré. Finalement, ce ne sont que des petites bouées de mouillage. Nous décidons alors d’écarter la passe vers le large. Nous sommes obligés de zigzaguer entre les pieux, dont certains sortent de la surface d’environ un demi-mètre. »
Une heure et demie de recherches. Pour tout signe de vie, les sauveteurs n’ont aperçu que quelques mouettes dérangées par la lumière de leurs projecteurs. « À ce moment-là, nous ne cherchons plus quelqu’un de vivant, concède Denis Chatin. L’eau est à 18 °C, ça semble difficile de tenir aussi longtemps par cette température. »
L’hélicoptère passe à 10 mètres
Pourtant, Pierre est toujours bien accroché à son bouchot. Monté petit à petit sur le poteau, il a désormais de l’eau au-dessus des épaules. Cela fait plusieurs heures qu’il voit la vedette des Sauveteurs en Mer et l’hélicoptère de la Marine nationale sillonner les environs, à sa recherche. « Mais ils étaient trop loin, se désole encore le sexagénaire. À un moment, l’hélicoptère est arrivé droit sur moi. Mais, comme je n’avais aucune lumière pour me signaler, il est passé à 10 mètres sans me voir. »
L’ancien marin ne désespère pas pour autant, malgré le froid. Vers 7 h 15, « le jour se lève, je me dis qu’ils vont me trouver, poursuit Pierre. Et, d’un coup j’entends derrière moi : « Il est là ! » » Les bénévoles n’en reviennent pas. « À 50 mètres de nous, dans la lumière du projecteur, une forme, un ballon, comme une bouée toute blanche, décrit Denis Chatin. Soudain, on aperçoit des lunettes. Et on sait que c’est Pierre et qu’il est encore vivant. »
Température corporelle : 30 °C
La vedette s’approche doucement du rescapé et l’équipage le hisse à bord. L’homme est en grave hypothermie, sa température corporelle n’est que de 30 °C. Il a aussi été grièvement piqué au pied par une méduse. Les bénévoles l’allongent délicatement dans la chaleur de la cabine, le déshabillent et l’installent sous deux couvertures de survie. Ils établissent un bilan médical et mettent le retraité sous oxygène. Par radio, un médecin leur recommande de se diriger vers La Rochelle. La SNS 458 Île de Ré y parvient en moins de trente minutes. Des pompiers prennent alors Pierre en charge et le transfèrent vers un centre hospitalier.
Quand elle retrouve son mari dans une chambre d’hôpital, Martine n’y croit pas. « Je me pensais déjà veuve, avoue-t-elle. Il faut être réaliste : c’est un véritable miracle ! » Pierre rentre chez lui, réchauffé, dans l’après-midi. Malgré ses blessures, il rend visite aux Sauveteurs en Mer avec sa femme quelques jours plus tard. « Il fallait les remercier, souligne Martine. C’est la SNSM qui me l’a ramené ! »
Les bénévoles tiennent aussi à marquer cet événement heureux. Ils préparent un panneau, qu’ils fixent sur le bouchot auquel Pierre doit la vie. Au-dessous du dessin d’une mouette à lunettes, on peut désormais lire : « Ce poteau a sauvé Pierrot. » « Il fallait au moins ça, insiste Denis Chatin. Rester vivant dans la mer vêtu d’un jean et d’un pauvre polo de coton pendant plus de six heures d’affilée, on ne nous l’avait jamais fait. Pierre est un guerrier ! »
Article rédigé par Nicolas Sivan
Équipage engagé
Patron : Hugo Bressy
Patron suppléant : Denis Chatin
Nageurs de bord : Jonathan Denoual, Geoffroy Maincent
Équipier : Benoît Rivasseau
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